Et si on pouvait recommencer? La Fonction, d’André Marois
Publication: 07/02/2013 10:11 Huffington Post Québec
Une fois, une seule, aurez-vous la chance d’effacer un remords ou un regret? André Marois fait don de ce pouvoir unique dans La Fonction et nous entraîne dans une aventure périlleuse et fantastique. On recule le temps et on recommence.
Le roman se déroule en bonne partie dans un Montréal contemporain. On y reconnait la ville et ses quartiers, pourtant ce n’est pas notre réalité. L’auteur a introduit un élément étranger qui fait basculer cet univers dans le monde fantastique : la Fonction. Dès leur naissance, les humains possèdent ce don et ils sont libres de l’utiliser une seule fois. Il permet de reculer le temps d’une minute afin de revivre une seconde fois un instant de bonheur absolu, d’éviter une catastrophe, bref de reprendre un moment de son choix.
Franck, principal protagoniste de l’histoire, se noie dans l’amertume depuis que Joyce, la mère de ses enfants, l’a quitté. Lorsqu’un drame survient à sa fillette, il est impuissant puisqu’il ne possède plus sa Fonction. Il tente d’apaiser sa rancœur en fréquentant le club des Fonctionnalistes, un lieu de rencontres où les gens viennent se vider le cœur et pleurer leur Fonction perdue. Il y fait connaissance avec Rosa, une jeune femme naïve à la recherche d’une cause juste pouvant lui permettre de faire le bien. Malgré tout le cynisme dont il est capable, Franck va s’attacher à Rosa. L’heure de sa rédemption approche.
André Marois s’amuse à perturber notre monde contemporain en introduisant un don universel, créant ainsi une réalité parallèle. Le système d’éducation est bâti autour de la Fonction pour éviter que les enfants utilisent ce moment unique pour des causes puériles. Le libre arbitre des Hommes devient un danger permanent. La Fonction peut devenir un instrument d’une rare torture dans de mauvaises mains. Elle peut également être vendue au plus offrant, favorisant ainsi les mieux nantis. On imagine les possibilités infinies pour un écrivain de la trempe d’André Marois dont l’imagination fertile n’est plus à souligner.
En suivant les pas et les pensées noires de Franck, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine sympathie pour cet ancien soldat converti en garde du corps. Il s'ennuie dans son travail et ne peut plus rien faire pour aider sa famille. Lorsqu'il dévoile dans quelles circonstances il a utilisé sa Fonction, il devient un monstre à nos yeux. André Marois use de tout son art en manipulant allègrement les sentiments des lecteurs. Forçant la référence à un grave fait divers que tous reconnaitront sans peine. La structure même du roman est donc majeure dans le récit. Aurions-nous su dès l'incipit ce que Franck avait fait que la réception du texte aurait été fort différente...
La Fonction n’est pas toujours perçue comme un bienfait et, justement, les méfaits sont obsédants, surprenants, déroutants, horrifiants. Un outil semblable entre des mains mal intentionnées devient un objet de torture raffiné. (À bien y penser, dans notre réalité, la vraie, on se demande bien si certains n’auraient pas découvert la Fonction et n'en useraient pas déjà assez bien pour nous faire avaler quelques couleuvres…) Mais je m’égare, il ne faut pas prendre la fiction pour la réalité!
Bien qu’il s’y trouve quelques meurtres, il n’y a pas d’enquête. Le roman relève davantage du fantastique, sans le côté horreur qui lui est si souvent juxtaposé. L’humour noir, parfois grinçant d’André Marois se profile tout au long d’une écriture précise et économe (on sent bien ici le spécialiste de la nouvelle). Tant dans les dialogues que dans les péripéties, cet humour vient détendre habilement des scènes abominables. S’amusant à opposer la bonté à la perversité, l’auteur parvient à glisser dans le récit un épisode particulièrement atroce qui autrement ne passerait jamais.
La seule faiblesse du roman tient dans sa concision. Moins de deux cents pages pour élaborer un tel univers, ça force nécessairement au raccourci. Ainsi de brillantes idées sont-elles seulement effleurées, suggérées, sans être approfondies. Le temps est une notion universelle. Aussi, lorsqu’un humain utilise sa Fonction, il est envisageable que tous les personnages le ressentent. Les protagonistes perçoivent bien une secousse lorsque cela arrive, mais sans conséquences. On imagine pourtant les multiples scénarios rocambolesques que pourraient vivre les personnages s'ils ressentaient tous l’impact de la Fonction à chaque fois. Mais peut-être que ce sujet fait déjà partie d’une suite imaginée par l’auteur qui, on le souhaite, n’abandonnera pas un tel filon.
La Fonction est donc un très bon moment de lecture avec un auteur en plein contrôle de son imaginaire luxuriant. André Marois est un écrivain à découvrir si vous n’en avez jamais fait usage. Ceux qui le connaissent déjà ne rateront pas cette rencontre.
André Marois, La Fonction, Éditions La Courte échelle, janvier 2013. 194 pages. Disponible aussi en formats Epub/PDF.
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