Trafiquante, de Eva Maria Staal: une femme-canon
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L'auteure de ce polar se cache sous un pseudonyme parce que ce serait bien trop dangereux d'être reconnue. Trafiquante s'inspire de son premier emploi : trafiquante d'armes technologiques. Voyage en pays tumultueux.
La jeune Néerlandaise Eva Maria Staal passe d'un pays en guerre à l'autre et, au nom de son patron, Victor, elle prend les commandes d'armes et livre la marchandise. Chaque projet a ses soumissionnaires et Eva est une habile négociatrice, n'hésitant pas à faire du charme pour conclure les transactions. Les seigneurs de la guerre et les autorités corrompues la respectent.
Eva Maria fait sa contrebande sans état d'âme. Elle fournit des armes de pointe à ceux qui peuvent les payer. Armer la faction A pour qu'elle attaque la faction B. Et si on peut aussi armer la faction B, c'est du bon business! Mais, à force d'errer dans ces pays en crise, l'impénétrable armure d'Eva se fissure. Lors d'une mission, elle entrevoit un charnier qui la laisse songeuse. Son patron est victime d'un attentat. Elle est violée par un policier corrompu. Sa bulle éclate lorsqu'elle se trouve mêlée à du trafic d'enfants. Cette vie d'adrénaline et de cynisme menace de l'anéantir. Eva abandonne le trafic d'armes et retourne à Utrecht pour y fonder une famille.
Le récit est narré comme s'il s'agissait d'un témoignage, avec toute l'urgence de dire que ça comporte. Ce choix narratif apporte une vraisemblance propre à vous glacer le sang. Il y a l'avant, avec ces aventures périlleuses qui font monter l'adrénaline et l'après, la petite vie de famille bien confortable. Racontés en parallèle, ces deux univers se superposent. Entre bazooka et tartine, les besoins d'un tyran et les désirs d'une fillette, la trafiquante d'armes et la maman cohabitent chez l'héroïne comme si tout cela était naturel.
Trafiquante n'est peut-être pas le polar de l'année, mais on aurait tort de mésestimer sa portée. L'auteure est parvenue à projeter un éclair fugace sur une zone d'ombre de notre monde. Et ce n'est surtout pas une confession qui se termine dans l'eau de rose et les larmes d'une repentie. Aucune quête de rédemption dans ce roman. L'ex-trafiquante ne cherche pas à justifier ses actions et l'abandon de son domaine d'expertise n'est pas dû à la culpabilité et aux remords, juste à des désaccords avec son employeur.
C'est notre monde moderne nourri au cynisme qui défile au travers de ces pages. Qu'on l'accepte ou pas, tout ça, ce n'est que du business.
Eva Maria Staal, Trafiquante, Éditions Du Masque. Traduit du Néerlandais par Yvonne Pétrequin (Probeer het mortuarium, 2007). Avril 2014. 284 pages. Aussi disponible en Epub.
Publication sur Huffington Post Québec: 01/05/2014 12:16