Top réalité, l'adieu de Donald Westlake
Et si une téléréalité se déroulait dans le milieu du crime? C'est ce qu'a imaginé le prolifique auteur américain Donald Westlake (décédé en 2008) pour sa dernière œuvre, Top réalité. La série Dortmunder, entamée en 1970 avec Pierre qui roule (Hot rock), s'achève ainsi avec ce quatorzième épisode.
Le cambrioleur John Dortmunder et sa bande de filous new-yorkais se font offrir de tourner dans une téléréalité portant sur un véritable cambriolage. Ils devront préparer le coup, inspecter les lieux puis prendre ce qu'ils convoitent sous l'œil de la caméra. Semaine après semaine, les téléspectateurs pourront suivre le déroulement du vol. Mais, bien sûr, avec des voleurs aussi audacieux que malchanceux, ça ne se passe pas du tout comme prévu!
Une dernière fois, John Dortmunder va réunir ses acolytes : Stan le chauffeur, capable de voler n'importe quel véhicule, Judson, Tiny la brute et Andy Kelp à qui nulle serrure ne résiste. Le rendez-vous a lieu dans leur repaire de l'Upper West Side, le célèbre O.J.'s Bar & Grill de l'avenue Amsterdam à Manhattan. Pour le plaisir d'être ensemble et de réaliser un autre coup fumant, ils acceptent de relever le défi dangereux de participer à cette émission de télévision qui, en conclusion, pourrait bien les envoyer en prison. Commettre un vol devant des milliers de témoins rivés à leur écran comporte quelques risques, mais les producteurs proposent un bon cachet en échange de leur participation, et, bien entendu, la bande garde tous les gains du larcin.
Pour la conclusion de la série, on ne pouvait espérer mieux que cette rencontre inattendue entre deux univers aussi improbables. Une tranche de vie qui se déroule dans le plus contemporain des concepts actuels, la téléréalité, et le milieu feutré, glauque et ombrageux du crime. Deux antithèses qui rendent la situation complètement absurde. L'auteur, presque cinquante ans après son premier polar paru en 1959, reste aussi amusant que crédible avec un imaginaire qui n'a ni faibli ni vieilli.
Donald Westlake ne se prive pas pour éreinter les producteurs d'émissions de télévision et les diffuseurs. La quête des indices d'écoute pousse les magnats télévisuels à faire fi de toutes valeurs morales. Cette recherche du profit à tout prix leur fait produire des téléréalités dans lesquelles il n'y a ni scénariste ni acteur à payer.
Les voleurs acceptent le pari, comme un jeu auquel ils vont donner une petite tournure de leur cru. Ils préparent le cambriolage filmé, mais font aussi du repérage pour voler le producteur de l'émission à l'insu de l'équipe de tournage. Ils vont tenter de vider les poches de plus malhonnêtes qu'eux, ce qui bien sûr tombe dans l'humour particulièrement détendu et sarcastique de l'auteur, qui en a fait sa marque de fabrique, presque son fonds de commerce. De fait, les brigands sont tellement habiles qu'aucun soupçon ne se rend jusqu'à eux. C'est ce qu'on pourrait appeler se faire déculotter en beauté.
Le travail n'est pas une valeur très importante pour le gang de Dortmunder, bien qu'ils soient presque tous toujours affairés à quelque chose. Mais, ici, c'est du vrai boulot, enfin, si on veut : faire les acteurs dans une téléréalité tout en tentant de réellement s'emparer d'un magot. Malgré leurs multiples talents et leurs sens aigus de l'improvisation, l'équipe de cambrioleurs est plutôt sur le côté B du gangstérisme. Ce sont des gagne-petit qui volent juste ce qu'il faut pour ne pas se faire remarquer. Leur train de vie est ordinaire. Dortmunder et ses compères sont des manœuvres du crime. En soi, il s'agit d'une projection fabuleuse de nous-mêmes, lecteurs, employés ou travailleurs, une version guerrière du quotidien.
Voilà! Je termine cette chronique avec un sentiment ambivalent. Mon plaisir d'avoir lu Top Réalité, un autre excellent polar de Monsieur Donald Westlake et de l'avoir partagé avec vous est aussi teinté par un peu de tristesse à l'idée qu'il n'y en aura plus d'autres.
Fini, cet humour qui vous prend à contre-pied. Terminés, ces retournements de situations plus qu'imprévisibles. Au revoir, donc, cambrioleurs inoubliables, porteurs du gène de la guigne. Et surtout, merci Donald.
Donald Westlake, Top Réalité, Éditions Rivages/Thriller. Traduction Pierre Bondil (Get Real, 2009). Mars 2014. 286 pages. Livre et Ebook.
Publication Huffington Post Québec: 02/04/2014 15:23